Les livres sont ennuyeux à lire. Pas de libre circulation. On est invité à suivre. Le chemin est tracé, unique. Tout différent le tableau : immédiat, total. À gauche, aussi, à droite, en profondeur, à volonté. Henri Michaux – Lecture (1950)
Depuis le départ, Marie-Cécile Aptel apprivoise avec patience la peinture, son histoire et sa polysémie. Très tôt, le dessin apparaît comme le fil conducteur d’une pratique en devenir. Autodidacte, elle apprend en faisant, en copiant et en réinventant. Elle parle ainsi d’un parcours très éloigné d’une simple ligne droite. Elle a emprunté différents chemins qui l’ont toujours mené vers un même impératif, celui de la peinture. Depuis la fin des années 1980, elle s’adonne à une expérimentation infinie de la peinture. Sur le papier, sur la toile (libre ou avec châssis), mais aussi sur des stores en tissu, des bâches, du papier journal ou des draps, elle peint sans relâche. Le mot plaisir ponctue plusieurs fois notre conversation. L’artiste exprime une véritable joie, un plaisir de la peinture, du support, de la surface, de la couleur, de la matière, du signe, de l’apparition et de l’effacement. Elle peint principalement à la surface de grands et moyens formats pour entretenir un dialogue physique avec l’œuvre. « Pour véritablement être dans la peinture. » Le plaisir existe aussi dans les gestes plus amples, dans une forme de générosité. Ce rapport au corps est visuellement présent. L’artiste laisse des traces. La surface des œuvres peintes est salie de passages, de traces de pas, de frottements, de déplacements du sol vers le mur et inversement. « La peinture est un travail manuel. » Par la salissure et la trace, l’artiste rend visible le travail d’atelier, la relation intime entre l’artiste et son œuvre.Écrire la peinture
Le point de départ d’un dessin ou d’une peinture provient toujours de son expérience personnelle, d’un réel intime, un souvenir, une humeur, un paysage, une réaction, un objet. Ce réel apparaîtra de manière figurative si l’artiste réalise un dessin, tandis qu’il sera abstractifié si elle réalise une peinture. L’écriture plastique n’est pas envisagée de la même manière selon le médium. Pourtant, des porosités existent. Entre Henri Matisse et Shirley Jaffe, entre Cy Twombly et Jean-Michel Basquiat, entre Helen Frankenthaler, Martin Barré, Joan Mitchell, Mark Rothko, Aurélie Nemours ou encore Lee Krasner, Marie-Cécile Aptel évolue dans un espace pictural ni tout à fait figuratif, ni tout à fait abstrait. À mi-chemin entre l’abstraction radicale et l’expressionnisme abstrait, elle construit sa propre écriture au creux d’une histoire de la peinture. Elle explore ainsi une zone entre deux conceptions de la peinture que les historien.ne.s et les artistes ont trop longtemps maintenu séparées. Il s’agit alors pour elle de former des alliances pour ouvrir encore et toujours les horizons de la peinture. Celle-ci génère une nécessité chez elle: celle d’échapper à une identification rapide. En ce sens, elle construit ses compositions en partie à partir de signes. «J’ai besoin d’une base graphique.» La question de l’écriture y est omniprésente. Des mots tantôt apparaissent, tantôt, par des gestes d’effacement, sont rendus illisibles. Ces mots ne nous guident pas vers une interprétation stricte de ce que nous voyons. Très peu de ses œuvres portent un titre afin qu’e l’œuvre demeure un espace ouvert à toute projection. Pour reprendre l’une de ses peintures, les mots alimentent un non-sens et des non-dits revendiqués par l’artiste. « Ce qui n’est pas dit, ce qui reste invisible me paraît important. C’est peut-être là la magie de la peinture.» La fondation autobiographique des œuvres reste souterraine et inaccessible. Elle s’évanouit dans la matière, sous les couches et les passages de couleur pour laisser place à un récit pluriel, à une mise en partage du sensible.
« Peu importe. Essaie encore. Échoue encore. Échoue mieux. »
Entre 1986 et aujourd’hui, Marie-Cécile Aptel place l’expérimentation au cœur de sa recherche picturale. À volonté, elle travaille la ligne, le signe, la couleur (par touches et par aplats). Elle déploie une pluralité de styles non pas en vue de trouver une écriture singulière, bien au contraire, la multiplicité constitue l’essence même de son écriture picturale. Par là, elle n’enferme pas la peinture. Elle n’impose rien. Les œuvres proposent, invitent, questionnent. Elles sont les mots d’une phrase, d’un récit que l’artiste construit dans le temps. Elles se répondent les unes aux autres. On note d’ailleurs que Marie-Cécile Aptel ne ferme que très rarement ses compositions. Chaque œuvre apparaît comme une porte entrouverte. Les peintures et les dessins glissent les uns vers les autres. « Il faut une ouverture pour ne pas enfermer la peinture. Elle est vivante. Elle n’est pas tout à fait terminée pour qu’elle puisse continuer à sortir, à vivre. » Les compositions portent des échappées, de nouveaux espaces à imaginer et à écrire. Cette volonté d’expérimentation constante traduit le refus de l’ennui dans la création, le refus d’une zone confortable qui serait celle d’un système, d’une facilité. L’artiste parle des toiles gâchées, du papier déchiré, des kilos de peintures qui traduisent une urgence, une vitalité, une nécessité impérieuse. Déjà essayé. Déjà échoué. Peu importe. Essaie encore. Échoue encore. Échoue mieux. (Samuel Beckett). D’un point de vue matériel, elle préfère peindre sur des matériaux légers, récupérés, plutôt que sur des toiles très tendues aux châssis lourds et indéplaçables. À la fixité elle préfère le mouvement, le déplacement. « Je fais, je rate, je recommence. Je réfléchis les pinceaux à la main.» L’expérimentation traduit aussi la nécessité d’une liberté créatrice, affranchie des codes, des vérités et des assignations. Au génie faisant autorité, les peintures et des dessins de Marie-Cécile Aptel manifestent une pensée plastique où le doute est travaillé avec exigence, désinvolture et détermination.
Les livres sont ennuyeux à lire. Pas de libre circulation. On est invité à suivre. Le chemin est tracé, unique. Tout différent le tableau : immédiat, total. À gauche, aussi, à droite, en profondeur, à volonté. Henri Michaux – Lecture (1950)
Depuis le départ, Marie-Cécile Aptel apprivoise avec patience la peinture, son histoire et sa polysémie. Très tôt, le dessin apparaît comme le fil conducteur d’une pratique en devenir. Autodidacte, elle apprend en faisant, en copiant et en réinventant. Elle parle ainsi d’un parcours très éloigné d’une simple ligne droite. Elle a emprunté différents chemins qui l’ont toujours mené vers un même impératif, celui de la peinture. Depuis la fin des années 1980, elle s’adonne à une expérimentation infinie de la peinture. Sur le papier, sur la toile (libre ou avec châssis), mais aussi sur des stores en tissu, des bâches, du papier journal ou des draps, elle peint sans relâche. Le mot plaisir ponctue plusieurs fois notre conversation. L’artiste exprime une véritable joie, un plaisir de la peinture, du support, de la surface, de la couleur, de la matière, du signe, de l’apparition et de l’effacement. Elle peint principalement à la surface de grands et moyens formats pour entretenir un dialogue physique avec l’œuvre. « Pour véritablement être dans la peinture. » Le plaisir existe aussi dans les gestes plus amples, dans une forme de générosité. Ce rapport au corps est visuellement présent. L’artiste laisse des traces. La surface des œuvres peintes est salie de passages, de traces de pas, de frottements, de déplacements du sol vers le mur et inversement. « La peinture est un travail manuel. » Par la salissure et la trace, l’artiste rend visible le travail d’atelier, la relation intime entre l’artiste et son œuvre.Écrire la peinture
Le point de départ d’un dessin ou d’une peinture provient toujours de son expérience personnelle, d’un réel intime, un souvenir, une humeur, un paysage, une réaction, un objet. Ce réel apparaîtra de manière figurative si l’artiste réalise un dessin, tandis qu’il sera abstractifié si elle réalise une peinture. L’écriture plastique n’est pas envisagée de la même manière selon le médium. Pourtant, des porosités existent. Entre Henri Matisse et Shirley Jaffe, entre Cy Twombly et Jean-Michel Basquiat, entre Helen Frankenthaler, Martin Barré, Joan Mitchell, Mark Rothko, Aurélie Nemours ou encore Lee Krasner, Marie-Cécile Aptel évolue dans un espace pictural ni tout à fait figuratif, ni tout à fait abstrait. À mi-chemin entre l’abstraction radicale et l’expressionnisme abstrait, elle construit sa propre écriture au creux d’une histoire de la peinture. Elle explore ainsi une zone entre deux conceptions de la peinture que les historien.ne.s et les artistes ont trop longtemps maintenu séparées. Il s’agit alors pour elle de former des alliances pour ouvrir encore et toujours les horizons de la peinture. Celle-ci génère une nécessité chez elle: celle d’échapper à une identification rapide. En ce sens, elle construit ses compositions en partie à partir de signes. «J’ai besoin d’une base graphique.» La question de l’écriture y est omniprésente. Des mots tantôt apparaissent, tantôt, par des gestes d’effacement, sont rendus illisibles. Ces mots ne nous guident pas vers une interprétation stricte de ce que nous voyons. Très peu de ses œuvres portent un titre afin qu’e l’œuvre demeure un espace ouvert à toute projection. Pour reprendre l’une de ses peintures, les mots alimentent un non-sens et des non-dits revendiqués par l’artiste. « Ce qui n’est pas dit, ce qui reste invisible me paraît important. C’est peut-être là la magie de la peinture.» La fondation autobiographique des œuvres reste souterraine et inaccessible. Elle s’évanouit dans la matière, sous les couches et les passages de couleur pour laisser place à un récit pluriel, à une mise en partage du sensible.
« Peu importe. Essaie encore. Échoue encore. Échoue mieux. »
Entre 1986 et aujourd’hui, Marie-Cécile Aptel place l’expérimentation au cœur de sa recherche picturale. À volonté, elle travaille la ligne, le signe, la couleur (par touches et par aplats). Elle déploie une pluralité de styles non pas en vue de trouver une écriture singulière, bien au contraire, la multiplicité constitue l’essence même de son écriture picturale. Par là, elle n’enferme pas la peinture. Elle n’impose rien. Les œuvres proposent, invitent, questionnent. Elles sont les mots d’une phrase, d’un récit que l’artiste construit dans le temps. Elles se répondent les unes aux autres. On note d’ailleurs que Marie-Cécile Aptel ne ferme que très rarement ses compositions. Chaque œuvre apparaît comme une porte entrouverte. Les peintures et les dessins glissent les uns vers les autres. « Il faut une ouverture pour ne pas enfermer la peinture. Elle est vivante. Elle n’est pas tout à fait terminée pour qu’elle puisse continuer à sortir, à vivre. » Les compositions portent des échappées, de nouveaux espaces à imaginer et à écrire. Cette volonté d’expérimentation constante traduit le refus de l’ennui dans la création, le refus d’une zone confortable qui serait celle d’un système, d’une facilité. L’artiste parle des toiles gâchées, du papier déchiré, des kilos de peintures qui traduisent une urgence, une vitalité, une nécessité impérieuse. Déjà essayé. Déjà échoué. Peu importe. Essaie encore. Échoue encore. Échoue mieux. (Samuel Beckett). D’un point de vue matériel, elle préfère peindre sur des matériaux légers, récupérés, plutôt que sur des toiles très tendues aux châssis lourds et indéplaçables. À la fixité elle préfère le mouvement, le déplacement. « Je fais, je rate, je recommence. Je réfléchis les pinceaux à la main.» L’expérimentation traduit aussi la nécessité d’une liberté créatrice, affranchie des codes, des vérités et des assignations. Au génie faisant autorité, les peintures et des dessins de Marie-Cécile Aptel manifestent une pensée plastique où le doute est travaillé avec exigence, désinvolture et détermination.